Au numéro 76 de la rue, il y a un pâté de maisons en ruine, bardé d’écriteaux pour la régularisation de travailleurs sans papiers ; un lieu habité depuis plus de dix ans par des familles qui, en majorité, fuyaient la guerre en Côte d’Ivoire.
Rue Gabriel Péri, à Saint-Denis ( Île-de-France), on peut voir de nombreux commerces et des habitations populaires au bord d’une chaussée où les passants circulent comme sur une voie piétonne, sans vraiment prêter attention à ce combat qui se mène tout prêt ; un combat contre l’insalubrité, le saturnisme dans des habitations indécentes, aux murs fissurés, aux planchers affaissés, aux installations électriques incendiaires.
Jusque-là, neuf familles avaient été relogées par la préfecture, quant aux autres, elles devaient se contenter d’attendre, mais plutôt que de patienter dans la passivité à guetter un miracle des administrations, les résidents du 76 Gabriel Péri se sont constitués en collectif pour faire valoir leur droit au relogement http://www.76peri.wordpress.com/, après huit à dix ans de présence sur le sol français et autant de temps à braver des jobs clandestins.
Cognant à toutes les portes, le collectif 76 interpelle médias et politiques pour que la condition de ses familles soit mise au premier plan de l’actualité dionysienne.
Première victoire : le 3 décembre 2008, Tiken Jah Fakoly http://www.tikenjah.net/, la star africaine du reggae exilée entre Mali et France, vient publiquement soutenir la quarantaine de familles demandant des logements dignes. Deuxième victoire : le 21 janvier de cette année avec une manifestation devant la mairie de Saint-Denis. Troisième victoire : le 23 janvier, Didier Paillard, le Maire de Saint-Denis se rend au 76. Quatrième victoire : le 6 mars, Nacer Meddah, le préfet de Seine-Saint-Denis, reçoit des membres du collectif et promet de traiter cette affaire en priorité.
Néanmoins, à part quelques travaux consentis au moi de mai pour désembourber les demeures en déliquescence des peintures de plomb toxiques, rien n’est vraiment fait. La mobilisation prend alors une autre ampleur et pour être pris au sérieux, le 7 octobre, onze membres du collectif 76 entrent en « grève de la faim pour que l’État respecte ses engagements ».
Le 18 octobre, sous la houlette d’Alain Bertho auteur de Le temps des émeutes, et professeur d’anthropologie à l’université Paris 8, www.mediapart.fr/club/blog/alain-bertho, de Corinne Angelini, et de bien d'autres membre du comité de soutien du 76, s’organise un concert de soutien dans la salle Ligne 13 au 12, place de la Résistance à Saint-Denis, avec Zora www.myspace.com/zoramusic, Rost www.myspace.com/rostofficiel, La compagnie jolie môme http://www.cie-joliemome.org/, Layonne www.myspace.com/layone7 et Chant d’encre http://www.myspace.chantdencre/.
Picaflore scande sa Lettre à la France, tandis que le sucre lit le texte Nous autres* du slammeur Luigi:
*NOUS AUTRES
Nous autres
Nés de la cendre
Enfantés dans la fiente
Traités chaque jour de la sorte
Nous autres
Plantés de force au sein d'une terre avortée
Qui nous a appris à bomber le torse
Nous autres
Écrasés consciemment
Le béton qui nous entoure pourri et nous ronge patiemment
Parce qu'on s'en nourrit
Nous autres
Abrutis par nos clichés
Envoyés paître
Jouant sur le paraître donc condamnés à tricher
Nous autres
Déballant nos opinions
Attablés tels des ogres face à des grecs sans oignons
Savourant sa graisse
Sirotant nos sodas
On vocifère sur nos pertes, les mots dits, les peines et les mandats
Donc venez nous rejoindre si vous voulez mourir
Car, hormis nos peurs, nul n'est venu rallier nos rires
On se frappe pour notre bien
On se hait et c'est pour ça qu'on s'associe
De toute façon on ne se doit rien
Or on s'aime aussi sûr qu'on se déprécie
On est cloués au sol et on s'en tape de toucher les cieux
Nous autres
Ce sont nos semblables qui nous insultent le mieux
Où qu'on aille c'est le désordre
Parce qu'on crie comme des chiens et qu'on aboie tels des hommes
Les vrais savent qu'il n'y a que des faux
Tous foutus en cage, enfermés tels des fauves
Abreuvés de rage par les pies d'une vie bâtarde
Nous autres
Nous connaissons quatre sages
C'est "fermes ta gueule", "n'écoutes rien", "baisses tes yeux" et "tiens ta garde"
On ne peut se fier au chant des sirènes
Elles simulent notre lâcheté
Nous fait ramper
Nous autres
Explosés sur leurs remparts
Condamnés à faire chier le système jusqu'à ce qu'il daigne nous achever
Et, quand on demande que la mort soit sans douleur,
Nous n'implorons que l'amour car lui seul peut nous en vouloir
"Allons enfants des apatrides
Le jour de choir est arrivé"
Voila ce qu'on nous suggère et on nous taxe de racistes
Donc, si Dieu existe, on peut dire qu'il exagère
La société nous fait payer la prose
Re-mates toi la séquence
On a tellement bouffé ses causes qu'on en est devenu la conséquence
Car, nous autres, on nous vomit
On nous avale pour mieux nous recracher
Nous autres
On vit la nuit
En deuil d'un sommeil qu'on nous a arraché
On se pose tant de questions que nos larmes deviennent des cernes
Alors qu'il n'y a qu'une seule réponse
Je suis peut-être pas intégré mais je suis français et je t'emmerde
Ne t'amuses pas à nous comparer
On n’a rien en commun
Parce qu'on est pire que des monstres
Nous autres
On est des êtres humains
On a tellement bouffé le trottoir que même nos cœurs sont décharnés
Regardes bien
Nos villes ne sont plus des dortoirs mais des charniers
Nous autres
Il n'y a que ta connerie qui nous embrasse
Donc comprends que l'on s'embrase lorsque tu nous appelles : "vous autres".
La bonne humeur embaume le concert qui se déroule dans une atmosphère de fête, car la veille, régularisations et relogements ont été verbalement accordées, levant ainsi le jeûne des grévistes, et menant à la plus grande des victoires : le droit d’exister.
Merci pour eux ! et merci d'avoir été là ! Juste une petite correction : Corinne Angelini n'est pas Conseillère générale. Elle fut (mais n'est plus) adjointe au maire de Saint-Denis. Elle est surtout la cheville ouvrière du comité de soutien du 76 (et de quelques autres). Amicalement, Alain Bertho.
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