15 janvier 2010

La toile dans la photo, docteur Couedor mister Landry

A l'occasion d'une exposition produite par Bothsides Agency entre le 26 novembre et le 13 décembre 2009, nous avons pu mettre un pied dans l'univers musical et urbain de deux artistes très en vue en ce moment : le peintre Yann Couedor qui présentait les toiles de la série "Cut Collection" et Guillaume Landry, un des deux photographes qui les mettaient en scène (avec Sheitan-M) à la Galerie Absoluty dans le 10ème à Paris.
Une fois sortie de l'exposition, impressionnés par des toiles gargantuesques et des photos détonantes, nous avons voulu savoir comment ils travaillaient. On a donc pris rendez-vous avec eux. (Oui, il faut quand même dire que notre curiosité n'a pas été difficile à assouvir car Guillaume est un vieil ami : il a juste suffi d'un coup de fil).
Rendez-vous pris, nous voilà un soir de janvier 2010, à Belleville, chez Yann qui nous accueille avec sa femme Karine, sa fille Tamika et Guillaume. On est dans le salon, autour d'une table basse : apéritifs de rigueur. En fond sonore, DJ Rodgers Junior.

Références
YC
Je suis fan d'Andy Warhol mais je ne fais pas de pop art en soi. En général, je peins des gens que je kiffe et souvent ce sont des représentants de la culture afro-américaine. Mon développement se fait surtout autour de la musique, mes références sont musicales : mon taf c'est peindre des artistes qui me font kiffer. Je bosse pour la musique pas pour la peinture. (pause chips).
Je recherche aussi une résonance cinématographique. Pour son festival Art et Banlieue
(mai-juin 2008), Luc Besson m'a demandé mes toiles de Nelson Mandela et de Spike Lee.
GL
La Chapelle, Bourdin, Cartier-Bresson, Spikee Lee, Michael Mann, Scorsese. J'aime les films et les images où l'on a l'impression d'être proche des personnages.

La rencontre
YC
Ca s'est fait naturellement comme souvent dans les rencontres où le seul intérêt c'est l'humain. Ah et aussi, on aime la musique et la vodka ! (rires).
GL
C'est à la fois le destin et le hasard. J'ai d'abord rencontré les toiles de Yann, c'était en 2007 via myspace (www.myspace.com/lissentomyart). Lui, je l'ai rencontré bien après en 2008, je passais au Journal Cream et il était là. Je lui ai parlé de ses toiles, il m'a demandé ce que je faisais et puis une heure est passée. Cool.

Karine, Guillaume Landry, Yann Couedor

Le style de chacun
YC
Je suis pour le "pop" au sens littéral. Je veux offrir ce que je fais à la masse, d'où la nécessité pour moi de travailler le parcours des gens populaires.
GL
J'essaie de ne pas m'enfermer dans un style même si je suis souvent dans la veine urbaine et street. Mais bon, le problème en France, c'est que quand tu fais un type de presse, t'es étiqueté. Moi j'essaie d'aller à l'ouverture.

Le travail de l'autre
YC
Guillaume, son truc, c'est la lumière, il réfléchit tout si vous voyez ce que je veux dire.
GL
Ce que j'aime chez Yann... Sa musicalité. Si tant est que ce soit possible, mes photos je veux qu'elle sonne comme une image d'un clip Hip-Hop. J'ai cette impression quand je regarde une toile de Yann. C'est ça que j'apprécie.

L'inspiration
YC
Ce que j'aime, c'est la compo. Les personnages sont le prétexte pour composer. Aujourd'hui, je ne me vois pas faire de l'abstrait. Mais même si les personnages ne sont que des excuses, j'ai besoin d'un visage humain. D'ailleurs, je m'appuie souvent sur une photo, c'est plus simple pour voir toutes les nuances d'un visage et aussi parce que mes cadres c'est du 2m20X2m20. Il y a donc une photo en amont mais aussi en aval, celle de la toile une fois la peinture achevée. Ca suppose une mise en situation de l'œuvre, et pour moi c'est constitutif de mon travail.
GL
D'abord les BD, la lecture, le ciné et les gens autour de moi. Ensuite, j'ai aussi des commandes et là c'est différent : je m'efforce de rester sur les envies de mes prestataires. Ça fait deux manières bien opposées d'utiliser l'inspiration et j'aime bien osciller de l'une à l'autre. Soit j'écoute ma sensibilité ou soit je colle à celle d'une personne qui m'est étrangère.

Les critiques
YC
On me dit souvent que ce que je fais n'est pas assez personnel. C'est parce que je peins des gens connus. Je comprends, mais en même temps y'a des proches qui savent que ma musique m'habite depuis tout petit. On me dit aussi souvent que je ne peins que des Noirs, mais non. Je peins de la musique que j'aime et il s'avère qu'elle est chantée par des Noirs.
GL
Les reproches ? C'est des techniciens qui viennent me donner leur avis théorique. Pourquoi pas. Mais moi je suis entré dans la photo par la sensibilité et c'est cette subjectivité que je veux rendre.

Financièrement parlant
YC
Ce que je fais, c'est des pièces uniques et c'est un moment de ma vie. Ça a un coût. Mais pour moi la reconnaissance maximale, c'est de rencontrer les artistes que j'ai peints et les voir kiffer. C'est un aboutissement, c'est ça qui me pousse.
GL
Tu peux reproduire l'image d'une photo mais pas l'instant. La valeur d'un cliché vient de là. Ce que je facture, c'est la captation de l'instant.

Projets
YC
Je vais refaire une expo à l'Olympia comme en juillet 2009 et sinon, j'aimerais faire des panneaux pour des artistes sur scène.
GL
Je vais bosser avec Sir Samuel, Milk Coffee & Sugar et d'autres dont je ne peux pas légalement parler. (rires).

Ce que vous vous souhaitez l'un à l'autre pour 2010
YC à GL
Que ça continue !
GL à YC
Encore plus de basket Jordan ! (rires).

Mot de la fin
YC
"Talent ou pas talent, ce qui prime c'est la surcharge de travail !"
GL
"Si je devais tirer quelque chose de cette interview, ce serait des photos, mais j'ai oublié mon appareil !"

Yann Couedor (www.yanncouedor.com, www.myspace.com/lissentomyart) et Guillaume Landry (www.guillaumelandry.com, www.myspace.com/guemtz) travaillent actuellement sur la pochette de notre album.

Nous les remercions de s'être prêtés au jeu de l'interview.

13 janvier 2010

Gaël Faye featuring KARLOS ROTSEN sur l'album de jazz créole BON-AIR disponible à la vente



Le pianiste de jazz Karlos Rotsen est un vieil ami de notre collectif de slam CHANT D'ENCRE. A l'époque il nous accompagnait régulièrement sur des scènes avec le groupe Soulhealing.

Depuis, il a monté son propre groupe, le Karlos Rotsen Quartet, avec Irving Acao (Saxo ténor), Kevin Revyrand (Contrebasse) et Cedric Cléry (Batterie) et il vient de sortir son 1ère album BON-AIR. Il définit sa musique comme étant du jazz créole qui puisent ses racines en Afrique Noire et sur le continent américain. www.myspace.com/karlosrotsenquartet

Au mois de septembre dernier, je reçois un coup de fil de Karlos qui souhaite m'inviter sur son album. Le délai est très serré car il me laisse moins d'une semaine pour écrire un morceau et la prise studio se fera en une fois dans les conditions du live au studio de la Seine à Paris.
J'essaye de définir un thème d'écriture avec lui en faisant un pot-pourri des sujets que l'on abordera lors de notre discussion. On se sent des points communs sur l'idée de marronnage comme philosophie de vie. Celle de fuir les perspectives d'un monde balisé, d'être un maximum "libre", c'est à dire choisir ses propres contraintes... La discussion a ensuite dérivée vers Césaire dont son album se veut un hommage. Et nous avons fini par aborder les émeutes qui ont secouées l'île de la Martinique en 2009.

Finalement mon texte prendra ma propre vie en fil conducteur. Celle d'un enfant qui naît dans un monde où la contemplation était l'unique but de son existence. Mais les évènements qui marque l'Histoire de cette région des Grands Lacs en Afrique (génocide, guerres, déracinement, racisme...) m'oblige à investir le monde en agissant à mon petit niveau à travers l'écriture et la musique. Cette décision est déclenchée à l'adolescence quand je découvre aux Editions Maspero la conclusion de "Peau Noire, Masques Blancs" où Frantz Fanon lance comme ultime prière: "O mon corps, fais de moi un homme qui toujours interroge!".

Frantz Fanon l'ancien élève de Césaire au Lycée Victor-Schoelcher. L'élève qui retint la leçon de l'engagement. Mais contrairement à son professeur il meurt dans l'indifférence, et ne connaîtra ni hommage nationale, ni déclaration présidentielle, ni unanimité consensuel... Il est et restera ce damné de la terre, psychiatre de l'administration française qui tel un Marron choisira le maquis du FLN à la violence du colon. Lui l'Homme fondamentalement universel, nait en Martinique, enterré en Algérie...

08 janvier 2010

Interview d'Elsa Delachair, romancière et éditrice

Au printemps 2010, nous aurons la chance de voir édité un de nos textes, Métis, et une de nos nouvelles Emiettée chez Inculte dans le cadre du premier numéro de la revue En attendant l'or, qui propose de découvrir de jeunes auteurs francophones.
Profitant de l'occasion pour satisfaire notre curiosité sur le monde du livre, nous avons demandé à Elsa de nous parler de son travail d'éditrice et de romancière.


L'écriture
E.D.
C'est né il y a quelques années maintenant, un été où j'ai travaillé en hôpital psychiatrique. On m'avait alors conseillé d'écrire un journal, pour y expurger le soir ce que j'y voyais le jour.
En un mois, j'ai appris autant qu'en un an. C'était l'été entre mon hypokhâgne et ma khâgne. Je nettoyais les toilettes, les patients, et leur faisais à manger. J'y ai appris l'humilité, le sens du travail, et j'ai su après pourquoi je faisais des études. Un mois au SMIC à nettoyer la misère du monde, humaine, sociale, sexuelle, et morale, même si j'éxècre cette notion.
Passer le balai versus "Le Bateau ivre" de Rimbaud.
Je l'ai tenu donc ce journal, et l'été suivant, j'ai remis ça. Le journal et la gériatrie cette fois. Je sortais de mes concours, j'avais lamentablement échoué Normale Sup, à Sciences Po. Alors, j'ai lavé les vieux, qui attendaient de mourir, dans les pièces aussi larges que ma chambre à l'internat. J'ai ensuite présenté les deux textes à des gens, qui m'ont encouragé à continuer.
C'est né de là.
Alors, évidemment, j'avais de petites nouvelles sans intérêt qui dormaient dans mes fichiers word. Et comme les gens célèbres le disent toujours plus tard, j'avais toujours rêvé d'être écrivain.
Mais tout ça n'est vrai et ne devient concret qu'à l'aune d'un certain nombre d'années, qui peuvent ensuite justifier d'une certaine expérience et donc ce genre de propos façon rêve de petite fille.
L'écriture, je la vois surtout comme un travail, un travail ingrat, un travail de chien, qui mature de longues années, pour parvenir - parfois - à quelques honnêtes lignes...

Références littéraires
E.D.
Elles sont si présentes qu'elles m'ont longtemps empêchées d'écrire plus de trois lignes.
Sur les frontons de mon Panthéon, il y aurait - en bataille - Nietzsche, Gary, Duras, Dostoïevski, Pérec, Genet, Beckett, et le Maître et Marguerite, de Boulgakov. J'en oublie, je préfère m'arrêter là, tant cette liste est artificielle...

L'édition
E.D.
Après un an à Montréal, où j'ai travaillé dans une maison de littérature, j'ai beaucoup appris sur l'écriture à force de lire et relire des textes - souvent mauvais, il faut bien l'avouer.
Lectrice est un métier difficile, j'ai passé les premiers mois à penser que j'allais rater un Marcel Proust... Lire huit heures par jour à un bureau fait rêver pas mal de gens. Moi j'ai trouvé ça exaltant au début, puis très frustrant, désolant, et ennuyeux. On n'y lit que la surface immergée de l'iceberg, ce que les lecteurs d'aujourd'hui ne liront jamais, c'est toute une histoire officieuse de la littérature contemporaine qui se joue dans l'intimité du lecteur et de son manuscrit.
J'ai ensuite perdu le goût de la lecture, j'ai passé deux ans sans lire un livre que j'avais moi-même choisi sur les rayonnages d'une librairie. Je m'y suis remise il y a un an, et depuis je savoure le simple fait de ne même pas savoir par où commencer tant la liste de ce que je voudrais lire avant de mourir est longue, bien plus longue - et bien plus intéressante d'ailleurs - que celle de mes références littéraires citées avant...


Roman paru
E.D.
Boris Vian et moi est sorti il y a presque deux ans. Il se porte bien je crois mais je le laisse vivre sa vie, j'y suis attachée comme à un joli souvenir de jeunesse mais pour moi, le roman est celui de demain, et celui d'après demain, celui que je vais écrire, celui que je suis en train d'écrire, celui qui viendra, celui qui ne viendra pas.


Roman à paraître
E.D.
Il me parle davantage, m'énerve, m'agace, mais existe, et c'est déjà ça.
Il ne parle pas vraiment de quelque chose encore mais j'ai les idées, les pistes, la structure - que j'aime énormément travailler.
Il avance, recule, se perd aussi parfois, mais j'ai quelque chose à me prouver avec lui. Il est éminemment plus ingrat que le premier, puisque le premier il y a eu, et que la naïveté, la spontanéité et une certaine forme d'innocence ont disparu à la parution.
J'écrirai le deuxième pour effacer le premier, le troisième pour effacer le deuxième etc. et comme ça jusqu'à la fin probablement, en imaginant que jamais je n'aurais atteint le niveau, mais qu'au moins j'aurais travaillé dans ce sens.

Revue
E.D.
Antoine Dole a créé la revue En attendant l'or il y a plusieurs années. Nous préparons un numéro, à paraître pour 2010 aux éditions Inculte.
L'idée est de réunir de jeunes auteurs, de tous bords, de tous genres, styles et pays. Nous avons une sélection d'une dizaine de textes, très variés. Nous avons retravaillé une partie des textes avec les auteurs, comme je lavais appris à Montréal. Resserrer, développer, incarner, tout un tas d'infinitifs, pour parvenir à une version à laquelle l'auteur ne peut parvenir seul. Par expérience, je sais qu'un auteur a besoin à un certain stade de son écriture d'un relai, d'un œil neuf pour l'aider à finir. Alors bien sûr, tout le monde ne travaille pas ainsi, mais je n'ai jamais envisagé le travail d'éditeur autrement. Un éditeur qui recevrait un manuscrit, le ferai corriger puis commercialiser, ce serait pour moi plus un imprimeur qu'autre chose.
La solitude inhérente au fait d'écrire a - je crois - parfois besoin d'être brisée par quelqu'un qui emmène l'auteur là où il ne peut aller seul. C'est un travail long et fastidieux, mais souvent les auteurs en sont ravis et reconnaissants.

MC'S
E. D.
Je connais Edgar par le biais de notre maison d'édition commune, où nos deux romans ont paru à quelques mois d'intervalle. J'avais beaucoup aimé son Coffee, et nous nous sommes rencontrés chez notre éditeur.
Il m'a ensuite présenté Gaël. Nous publions des textes de chacun d'eux dans notre revue.
En musique, c'est comme en littérature, je suis très "domaine public", j'écoute peu de musique actuelle et en littérature, je ne lis que des auteurs morts, certaine de leur qualité puisque la postérité et le posthume sont les meilleurs éditeurs : seuls les bons passent, les mauvais textent s'oublient...
Je suis sensible aux textes d'Edgar et Gaël, que je trouve écrits - j'insiste car c'est quelque chose que l'on voit peu - je crois - chez les rappeurs ou les slameurs...
Je trouve leurs textes justes, au couteau, et j'aime beaucoup la finesse du propos.
Ce que j'aime aussi c'est que tous les deux se ressemblent autant qu'ils sont différents.


Nous remercions Elsa Delachair de s'être prêtée au jeu de l'interview et nous lui souhaitons beaucoup de livres à éditer ainsi que l'écriture d'un deuxième roman pour "effacer le souvenir de jeunesse" de Boris Vian et moi.




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