08 janvier 2010

Interview d'Elsa Delachair, romancière et éditrice

Au printemps 2010, nous aurons la chance de voir édité un de nos textes, Métis, et une de nos nouvelles Emiettée chez Inculte dans le cadre du premier numéro de la revue En attendant l'or, qui propose de découvrir de jeunes auteurs francophones.
Profitant de l'occasion pour satisfaire notre curiosité sur le monde du livre, nous avons demandé à Elsa de nous parler de son travail d'éditrice et de romancière.


L'écriture
E.D.
C'est né il y a quelques années maintenant, un été où j'ai travaillé en hôpital psychiatrique. On m'avait alors conseillé d'écrire un journal, pour y expurger le soir ce que j'y voyais le jour.
En un mois, j'ai appris autant qu'en un an. C'était l'été entre mon hypokhâgne et ma khâgne. Je nettoyais les toilettes, les patients, et leur faisais à manger. J'y ai appris l'humilité, le sens du travail, et j'ai su après pourquoi je faisais des études. Un mois au SMIC à nettoyer la misère du monde, humaine, sociale, sexuelle, et morale, même si j'éxècre cette notion.
Passer le balai versus "Le Bateau ivre" de Rimbaud.
Je l'ai tenu donc ce journal, et l'été suivant, j'ai remis ça. Le journal et la gériatrie cette fois. Je sortais de mes concours, j'avais lamentablement échoué Normale Sup, à Sciences Po. Alors, j'ai lavé les vieux, qui attendaient de mourir, dans les pièces aussi larges que ma chambre à l'internat. J'ai ensuite présenté les deux textes à des gens, qui m'ont encouragé à continuer.
C'est né de là.
Alors, évidemment, j'avais de petites nouvelles sans intérêt qui dormaient dans mes fichiers word. Et comme les gens célèbres le disent toujours plus tard, j'avais toujours rêvé d'être écrivain.
Mais tout ça n'est vrai et ne devient concret qu'à l'aune d'un certain nombre d'années, qui peuvent ensuite justifier d'une certaine expérience et donc ce genre de propos façon rêve de petite fille.
L'écriture, je la vois surtout comme un travail, un travail ingrat, un travail de chien, qui mature de longues années, pour parvenir - parfois - à quelques honnêtes lignes...

Références littéraires
E.D.
Elles sont si présentes qu'elles m'ont longtemps empêchées d'écrire plus de trois lignes.
Sur les frontons de mon Panthéon, il y aurait - en bataille - Nietzsche, Gary, Duras, Dostoïevski, Pérec, Genet, Beckett, et le Maître et Marguerite, de Boulgakov. J'en oublie, je préfère m'arrêter là, tant cette liste est artificielle...

L'édition
E.D.
Après un an à Montréal, où j'ai travaillé dans une maison de littérature, j'ai beaucoup appris sur l'écriture à force de lire et relire des textes - souvent mauvais, il faut bien l'avouer.
Lectrice est un métier difficile, j'ai passé les premiers mois à penser que j'allais rater un Marcel Proust... Lire huit heures par jour à un bureau fait rêver pas mal de gens. Moi j'ai trouvé ça exaltant au début, puis très frustrant, désolant, et ennuyeux. On n'y lit que la surface immergée de l'iceberg, ce que les lecteurs d'aujourd'hui ne liront jamais, c'est toute une histoire officieuse de la littérature contemporaine qui se joue dans l'intimité du lecteur et de son manuscrit.
J'ai ensuite perdu le goût de la lecture, j'ai passé deux ans sans lire un livre que j'avais moi-même choisi sur les rayonnages d'une librairie. Je m'y suis remise il y a un an, et depuis je savoure le simple fait de ne même pas savoir par où commencer tant la liste de ce que je voudrais lire avant de mourir est longue, bien plus longue - et bien plus intéressante d'ailleurs - que celle de mes références littéraires citées avant...


Roman paru
E.D.
Boris Vian et moi est sorti il y a presque deux ans. Il se porte bien je crois mais je le laisse vivre sa vie, j'y suis attachée comme à un joli souvenir de jeunesse mais pour moi, le roman est celui de demain, et celui d'après demain, celui que je vais écrire, celui que je suis en train d'écrire, celui qui viendra, celui qui ne viendra pas.


Roman à paraître
E.D.
Il me parle davantage, m'énerve, m'agace, mais existe, et c'est déjà ça.
Il ne parle pas vraiment de quelque chose encore mais j'ai les idées, les pistes, la structure - que j'aime énormément travailler.
Il avance, recule, se perd aussi parfois, mais j'ai quelque chose à me prouver avec lui. Il est éminemment plus ingrat que le premier, puisque le premier il y a eu, et que la naïveté, la spontanéité et une certaine forme d'innocence ont disparu à la parution.
J'écrirai le deuxième pour effacer le premier, le troisième pour effacer le deuxième etc. et comme ça jusqu'à la fin probablement, en imaginant que jamais je n'aurais atteint le niveau, mais qu'au moins j'aurais travaillé dans ce sens.

Revue
E.D.
Antoine Dole a créé la revue En attendant l'or il y a plusieurs années. Nous préparons un numéro, à paraître pour 2010 aux éditions Inculte.
L'idée est de réunir de jeunes auteurs, de tous bords, de tous genres, styles et pays. Nous avons une sélection d'une dizaine de textes, très variés. Nous avons retravaillé une partie des textes avec les auteurs, comme je lavais appris à Montréal. Resserrer, développer, incarner, tout un tas d'infinitifs, pour parvenir à une version à laquelle l'auteur ne peut parvenir seul. Par expérience, je sais qu'un auteur a besoin à un certain stade de son écriture d'un relai, d'un œil neuf pour l'aider à finir. Alors bien sûr, tout le monde ne travaille pas ainsi, mais je n'ai jamais envisagé le travail d'éditeur autrement. Un éditeur qui recevrait un manuscrit, le ferai corriger puis commercialiser, ce serait pour moi plus un imprimeur qu'autre chose.
La solitude inhérente au fait d'écrire a - je crois - parfois besoin d'être brisée par quelqu'un qui emmène l'auteur là où il ne peut aller seul. C'est un travail long et fastidieux, mais souvent les auteurs en sont ravis et reconnaissants.

MC'S
E. D.
Je connais Edgar par le biais de notre maison d'édition commune, où nos deux romans ont paru à quelques mois d'intervalle. J'avais beaucoup aimé son Coffee, et nous nous sommes rencontrés chez notre éditeur.
Il m'a ensuite présenté Gaël. Nous publions des textes de chacun d'eux dans notre revue.
En musique, c'est comme en littérature, je suis très "domaine public", j'écoute peu de musique actuelle et en littérature, je ne lis que des auteurs morts, certaine de leur qualité puisque la postérité et le posthume sont les meilleurs éditeurs : seuls les bons passent, les mauvais textent s'oublient...
Je suis sensible aux textes d'Edgar et Gaël, que je trouve écrits - j'insiste car c'est quelque chose que l'on voit peu - je crois - chez les rappeurs ou les slameurs...
Je trouve leurs textes justes, au couteau, et j'aime beaucoup la finesse du propos.
Ce que j'aime aussi c'est que tous les deux se ressemblent autant qu'ils sont différents.


Nous remercions Elsa Delachair de s'être prêtée au jeu de l'interview et nous lui souhaitons beaucoup de livres à éditer ainsi que l'écriture d'un deuxième roman pour "effacer le souvenir de jeunesse" de Boris Vian et moi.




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